Walter Moers : Ours Bleu et Les livres qui Rèvent

Cette mini-série ressemble à une succession de péripéties sans queues ni têtes pour le héros, un Ours Bleu, mais foisonne d'idées saugrenues, à tel point qu'à chaque paragraphe est associé un sous-titre résumant le sujet dont il traite. Je recommande particulièrement cette série à qui voudrait apprendre à étoffer ses descriptions, car c'est l'une des spécialités de Moers : à partir de ce qui pourrait tout juste occuper une phrase dans un récit, à savoir, par exemple, " j'appris à parler ", celui-ci est capable de rédiger un paragraphe entier :

" Au début, j'appris des mots aussi simples que << Vague >> ou << Flots >> (cet ours est un marin), puis des expression plus compliquées, comme << Raz de marée >> ou << Marée Noire >>. J'appris de petits et de grands mots, des mots-outils et des mots à tiroirs, des mots d'esprit et des mots en l'air, de jolis mots et aussi des mots qu'on ne devait jamais prononcer. J'appris à épeler ces mots, à les articuler, les conjuguer et les accorder, les substantiver, les adjectiver, les ponctuer ou les accentuer. Puis nous en vînmes aux phrases et aux propositions : les propositions principales, les subordonnées, les propositions coordonnées et juxtaposées, les propositions affirmatives, négatives, interrogatives, les propositions circonstancielles et les proposition malhonnêtes. [Mes professeurs] m'apprirent à marmonner, à jacasser et bavasser, à murmurer et à m'égosiller, à bavarder, à papoter, a déblatérer, à intriguer, et bien sûr à commérer. [Elles] m'apprirent aussi à tenir des discours, à converser, et m'initièrent à l'art de la persuasion : comment couper le sifflet à quelqu'un, mais aussi comment sauver sa propre tête à force de belles paroles. [...] Je savais prononcer un discours enflammé, porter un toast, prêter serment (et le rompre aussitôt), éttouffer un juron, déclamer un monologue, composer des vers, trousser un compliment, énoncer des inepties et bredouiller des paroles incompréhensibles. Je savais parles sans détours, m'indigner, faire la mauvaise langue, dénigrer ou vilipender quelqu'un, réciter une tirade, donner une conférence, faire un sermon et, bien sûr, je savais désormais raconter des galéjades de marins. "

Que penseriez-vous de faire un concours sur le thème d'une Arène de Gladiateurs du Mensonge ? A moi, en tout cas, cela me paraîtrait génial !

Sans doute un de mes livres préférés : on a l'impression d'aller de labyrinthes en labyrinthes, avec, toujours, pages après pages, une infinité de nouveautés inventées par cet Imaginomane fou ... Ce second roman, bien que très supérieur aux Treize Vies, poscède une ambiance beaucoup plus sombre, due à des thèmes de sorcellerie profane, au culte des secrets enfouis et à d'autres légendes obscures qu'on y rencontre, qui pourra plaire comme mettre mal à l'aise les habitués aux intrigues menées par un héros et ses amis : ici, le héros est seul, les rares alliés qui croisent sa route ... en payent le prix.

Outre cet aspect plus fantastique et moins fantaisiste de la Zamonie, Moers signe une véritable mise en abime : un livre parlant de livres ( lesquels parlent régulièrement de livres ... ). En effet, le centre de cette histoire n'est autre que la littérature, les auteurs, leurs œuvres, leurs aspiration et leur inspiration, le tout dans des registres qui nous sont totalement inconnus, puisqu'il s'agit d'une littérature fictive ! Inventer une histoire qui met en scène des livres supposées exister dans une littérature n'ayant jamais existé, puis axer une culture, des styles de vies, un univers entier autour d'une telle intrigue, c'est proprement hallucinant.
Imaginez vous à sa place, en train d'essayer de trouver un thème pour l'une de vos nouvelles : là ou vous essayez d'imaginer une intrigue originale ( ou pas ), un contexte inventé ( ou pas ) et des personnages en rapport ( ou pas ), lui pourrait presque ouvrir le dictionnaire, chercher un mot dedans, puis organiser toute son intrigue autour ! Une bonne base pour un éventuel troisième concours, d'ailleurs ... à réfléchir.
Un petit extrait, pour la route ? Le voici :

Dans des espaces creux, froids et encaissées__Amoncellement de livres
Les ombres aux ombres s'accouplent ________Abandonné et maudit
De vieux livres rêvent du temps____________Ourlé de fenêtres mortes
Ou ils étaient des arbres_________________Habité de fantômes
Ou le charbon engendrait le diamant ________Envahi d’animaux
On ne connait ni lumière ni bienfaits ________De cuir et de papier
Dans l'univers gouverné par l'esprit_________Lieu de folie et de bruit
Que l'on nomme le Roi des Ombres._________Que l'on nomme le Château des Ombres.

Bref, en un mot comme en mille, lisez ce chef d’œuvre, car il le vaut bien ...