Voilà le temps de se jetter à l'eau... 'Faut bien qu'il y ait une suicidaire qui se lance, non ?
Bonne lecture !
Chapitre 1 : Au bout du chemin
La folie. Elle me guette, me traque, m’emprisonne.
Elle fait trembler mes mains, mais je pense qu’elle fait trembler bien plus que ça.
En plus de mes mains, elle renverse mon âme, la hache en fines lamelles, me broie, me coince sous une roue qui ne cesse de tourner et bientôt, oui, bientôt, la roue aux lames acérées me tuera.
Ce n’est plus qu’une question de temps.
Elle m’aura, c’est la seule chose dont je sois certain.
La folie prend la forme d‘un chiffre.
Quatre…
- Oui, je n’ai plus qu’une seule solution, solution, solution… Elle me ronge, m’écorche, je suis damné…
Ses mains cherchent à tâtons ses yeux. Il ne voit plus rien. Le monde est noir. Dense, obscur, que de volutes malsaines. Ses yeux aveugles ne captent plus rien, ils ne captent plus que l’obscurité.
Il hurle. Ses joues le brûlent intensément. Des sillons se creusent, des sillons de douleur. Tracés par des larmes. Du feu, à l’état brut.
Il hoquète, son corps se compulse. Il s’ébroue, et il ne peut retenir ses tremblements.
Le noir. Encore.
Le noir, compagnon de la folie. De sa folie.
- Une solution, une solution…
L’écho, lugubre, ne cesse de se répéter, de plus en plus fort. Il se bouche les oreilles.
- Solution, solution, solution…
Il comprend que nul ne chuchote cette phrase. Personne. A moins que… Oui, c’est lui qui la murmure.
Une sentence, qui résonne comme un choix qui n’en est pas un. Comme une obligation. Ou une envie…
Une envie ? Ce sentiment, une chaleur dans le creux du ventre, presque agréable, le harcèle.
- Tu peux le faire, il ne te reste que ça.
- Tu as raison.
Qui parle donc ? Lui ? Qu’importe ! L’envie revient le titiller, lui enfonce son poing dans l’estomac.
- Non !
- Si !
Il se recroqueville en position fœtale. Un bébé, un bébé livré à lui-même, voilà ce qu’il est. Sans personne pour le prendre dans ses bras…
- Tu peux mettre fin à cette solitude.
- Comment ?
La question, aux abords idiote, prend une teinte. Spéciale. La teinte d’une évidence.
D’une sale évidence.
Le noir, toujours. Mari de solitude.
- Tu le sais !
- Non, non, non, non…
- Fais-le, fais-le, fais-le…
Au creux de sa main gauche, une ancre. Une ancre qui l’empêche de comprendre, une ancre qui le pousse à espérer encore. Espérer ? Quel sens donne-t-on à ce mot ?
Peu importe, comme le reste. Comme tout le reste.
Une partie de lui se cabre, veut partir de cet enfer. L’autre partie n’a qu’une aspiration. Unique.
« Elle s’est bien foutue de moi ! Et maintenant, la vie va m’abandonner ! Bâtarde de vie ! »
Le noir. Ami de…
- Arrête de m’obséder !
… de mort.
- Ne m’attire pas !
Il se prend la tête entre les mains. Son ancre tombe.
- Non ! Pas toi aussi !
Frénétique, il cherche son trésor. Sous ses doigts, que de la pierre froide, mouillée.
- Reviens-moi, reviens-moi !
Cette fois, il n’en peut plus.
Qu’est-ce qui l’accroche ici ? Rien, voilà la réponse. Cet abîme ne serait-il pas pire que…
La question se bloque dans son esprit. Il ne veut pas connaitre la réponse.
- Ton heure est venue, elle va te faucher…
- Non !
Sa voix n’est plus qu’un souffle. Son ennemie reprend, impitoyable.
- Viens à moi, viens à moi…
Une femme apparait.
« Je vois…Je vois ! »
- Je te donnerais bien plus que la vue…
Son ton mielleux, envoûtant, l’attire si fort… Elle est très belle. Ses longs cheveux blonds, ondulés, atteignent presque ses pieds, sa peau n’est que satin, ses yeux d’un doré aux reflets émeraude. Des voiles colorés, écarlates, orangés, azurins, citron, fuchsia, et bien d’autres, cachent sa silhouette gracile. Une cordelette tressée à la poitrine les retient. Ses cheveux tressés sont piqués de fleurs odorantes et d’herbes aux arômes enivrants. Elle ouvre les bras en grand, signe d’accueil.
- Commence une nouvelle existence avec moi…
Ses lèvres s’étirent. Un sourire. Un magnifique sourire. Un soleil dans toute cette ombre. Ensuite, une supplication.
- Je t’en prie…
Les mots s’échappant de sa bouche ne sont que mélodie. Sublime. Comme elle. Elle est éblouissante. Si belle…
Il voit son ancre. L’ignore. Cette femme l’appelle, et il ne pense qu’à la rejoindre…
Les pas lourds, il laisse derrière lui l’espoir. Il sourit. Il y est presque. Ses appréhensions, évanouies, ronronnent, comme apprivoisées.
Il se mord la lèvre inférieure. Tout s’effondre autour de lui, seule la vision de cette inconnue le pousse à continuer de marcher. A se livrer. La phrase sonne bizarrement dans ses pensées. Ses appréhensions rugissent. Et s’il se trompait ?
Doutes.
Non.
- Je ne te ferais aucun mal.
Ses inquiétudes miaulent. Disparaissent.
Il avance.
Son parfum capiteux le fait rêver, et il se jette dans les bras de la femme.
Elle l’étreint. Ensuite, lui murmure à l‘oreille…
- Bienvenue.
La mort lui enfonce une dague en plein ventre.
Et elle le cueille, comme un fruit. Mûr. Enfin.
*
* *
- Vous dites qu’on l’a poignardé ?
Foaly faillit s’étrangler.
- Le système que j’ai installé est le plus performant au monde -sans vouloir manquer de modestie-, inventé par mes soins, et vous affirmez que j’ai failli, qu’on l’a agressé sans que je m’en aperçoive ? Ridicule !
- Mais… Je…
- D’accord, j’arrive.
Il appuya d’un geste rageur sur la touche qui permettait de finir l’appel. L’image du docteur Jerbal Argon s‘évanouit. Ensuite, le centaure eut un ricanement dédaigneux. La blague était de très mauvais goût. Comment osaient-ils le faire tourner en bourrique ? De plus, l’expression mal choisie le mit d’une humeur encore plus noire. Il ne prit pas la peine d’éteindre ses ordinateurs, sachant qu’il reviendrait sous peu -ou du moins il le croyait- et verrouilla la pièce, installa les sécurités habituelles.
A chaque fois qu’il quittait son bureau, il ressentait un picotement familier, au fond du ventre, un pincement, lui rappelant que l’on pouvait, peut-être, rentrer dans son bureau et voler…
Non ! C’était impossible ! Comme il était impossible que l’on ait pu entrer dans le meilleur hôpital de tout Haven ville sans que ses caméras ne le repèrent ! Sans qu’on puisse forcer les innombrables scanners sans être détecté ! Impossible, oui. Et si les systèmes étaient défaillants ? Non, encore une fois. Impossible.
Malgré ses convictions, une petite voix l’incitait à se remettre, une fois de plus, en question. Toujours ce maudit « et si… ».
*
* *
Angeline caressa les cheveux de son fils. Dès que l’incident s’était produit, on l’avait appelée, et elle était à la capitale des Fées deux heures plus tard. Deux heures de stress, de tiraillements, de lèvres mordillées et d’ongles rongés. On lui avait assurée qu’il ne courrait aucun risque à rester sous terre ! Ils l’entendraient, et ça, c’était certain.
Bien sûr, ils étaient arrivés à temps. Heureusement. Le docteur, venu faire sa séance journalière avec son patient, l’avait retrouvé, affaissé devant la porte, un sourire aux lèvres, un poignard incrusté d’argent et d’améthyste dans le ventre.
Et une chevalière en or derrière lui.
Angeline l’avait retrouvé sur son lit trop petit, et, le voyant plié, avait exigé qu’il en aie un autre. Elle n’avait rien voulu entendre sur sa taille, bien supérieure à la moyenne des Fées, et il avait fini par en avoir un plus grand.
Elle avait été obligée de remonter en surface, après plus d’une semaine passée aux côtés de son fils, pour maintenir le secret. Même si Artemis senior ne semblait pas avoir gobé son explication farfelue, elle projetait de lui dire la vérité. Mais pas maintenant.
La femme défit son chignon serré avec un soupir de soulagement. Ensuite, tic qu’elle ne cessait de répéter, passa sa main dans ses boucles blondes.
Serein, Artemis dormait. Quand il était bébé, elle passait deux heures à le regarder dormir. Des heures où elle observait sa respiration régulière, son petit torse se soulever au rythme de sa respiration. Alors, il se réveillait, pleurait, et elle le prenait dans ses bras, et ses petits doigts jouaient avec ses cheveux…
Angeline essuya une larme. Il avait tellement grandi… A présent, il lui mentait depuis des années, était froid et distant. Elle essayait de le rendre plus sociable, comme on apprivoise un félin resté trop longtemps sans amour. Au début, il feulait, mais il lui semblait qu’il finissait par se laisser faire. Ses « maman » devenaient plus naturels, quoique gênés et rares, et il passait encore des heures enfermés dans son bureau devant son ordinateur, mais, depuis la naissance des jumeaux, il restait plus volontiers avec eux.
Elle lui baisa le front d’un geste protecteur, caressa sa joue, lui prit la main.
Artemis gémit dans son sommeil, et se redressa d’un coup, en sueur. Lorsque ses yeux s’habituèrent à la lumière vive, il reconnut enfin sa mère, qui lui tenait la main. Il porta la main à son ventre. Rien. Il était bel et bien vivant. Il se retint de soupirer de soulagement.
- Comment te sens-tu ?
Quatre. Il eut un mouvement de recul. Se força à sourire. Ne réussit qu’à grimacer.
- Je me sens aussi bien que si un marteau piqueur avait élu domicile dans ma tête. De plus, j’aimerais que v… tu alignes ces livres.
Vingt-cinq. Le compte y était. Lorsqu’il faisait de longues phrases, même pour quelqu’un de son intelligence, cela devenait difficile à gérer. Bientôt, il serait guéri.
« Peut-être », souffla une voix dans son esprit. La femme qui…
Le jeune homme secoua la tête. Cette femme n’existait pas, elle n’était qu’un songe, un être que son esprit enfiévré avait inventé… Elle semblait si réelle, pourtant !
Sa mère s’exécuta. En vitesse, elle avait fourré des livres d’Artemis dans son sac, car il devait s’embêter cruellement, ici, seul.
- Chéri, je… T’en souviens-tu ?
- Maman, je ne comprends pas.
Cinq. Parfait.
- Alors tu…
Une silhouette familière fit irruption dans la pièce.
- Artemis, comment allez-vous ? On m’a raconté que…
- Que quoi ? s’impatienta l’Irlandais, qui s’était redressé. Je…
Le capitaine des FAR ne le laissa pas finir.
- Vous ne vous en souvenez pas ? Vous avez failli mourir poignardé, et vous demandez naïvement ce qui s’est passé ?
- Ne lui dites pas comme ça ! lança Angeline, les yeux vers le plafond.
- J’ai le droit de savoir…
Six ! Il continua, essayant de cacher son manège :
- …Les faits, capitaine Short.
Tout juste.
« La thérapie ne sert-elle à rien ? », désespéra Holly en entendant les mots saccadés sortir de la bouche d’Artemis.
- Le docteur Argon vous a retrouvé dans un piteux état. On a essayé de vous tuer. Vous souvenez-vous de… ?
- Je puis vous assurer, non, coupa Artemis. Je ne me souviens pas.
Holly soupira.
- Attendez-vous à voir débouler une foule de journalistes, bien qu’on va essayer d’étouffer l’affaire.
Artemis se garda de leur répéter son rêve. Avait-il rêvé ? Comment était-ce possible ?
Soudain, un cri les fit sursauter.
- Vous me laissez passer, oui ? Je suis…
- Nous avons l’ordre de ne laisser passer personne.
Le jeune homme lança un regard suspicieux vers l’elfe.
- Je les ai… persuadé de me laisser entrer. C’est dangereux de bloquer la porte d’une agent décidée à entrer…
Elle se leva, ouvrit la porte de l’intérieur.
- Vous ne reconnaissez même pas ce centaure ? Un mot de sa part au commandant Kelp et vous vous faites virer, bande d’incompétents !
Ensuite, elle ne put s’empêcher de souffler : cowpog.
Les FAR peu gradés rougirent, et le laissèrent passer.
- Quelles nouilles, grommela Foaly en leur réservant un regard furibond dont il avait le secret.
Il adressa un signe de tête à Butler, resté aussi sous terre, gardant la porte. Le majordome eut un faible sourire. Il s’en voulait d’avoir été, une fois de plus, incapable de sauver son protégé. Il était parti seulement cinq minutes pour lui rapporter un thé… Mais il ne pouvait effacer cet incident, et même si Artemis était vivant, ce n’était pas grâce à lui et les remords l’accablaient.
Le géant Eurasien pénétra dans la pièce à la suite du technicien.
- Vous vous rouillez, technicien Foaly ? l’accusa Artemis d’un air moqueur.
- Vous êtes toujours cinglé, remarqua le centaure, répondant du tac au tac. Les quatre vont vous manger !
- Et vous êtes bien mou.
- Je ne crois pas un instant à la défaillance de mes systèmes.
- Combien de fois les ai-je piratés ? Cinquante fois ? Plus ?
Holly commençait à s’agiter.
- Vous avez fini, tout les deux ? Nous sommes là pour comprendre.
- D’accord, Holly, dit Foaly d’un ton faussement contrit. Alors Artemis, vous…
- Je ne m’en souviens pas. Marre des répétitions, je ne suis pas un enregistreur sur lequel on peut mettre « répéter » toutes les trente secondes.
Le centaure s’approcha de l’Irlandais. Celui-ci eut un mouvement instinctif de recul. Foaly lui prit la tête entre les mains, inspecta ses yeux. Artemis comprit de suite et se laissa faire.
- Vos pupilles sont dilatées.
- Je ne pense pas avoir été mesmerisé. C’est certain.
- Qu’est-ce qui permet de juger ? Tout concorde. On vous a mesmerisé, vous ne vous souvenez de rien, et puis, l’autre problème provient des caméras et de mes systèmes qui n’ont rien détecté d’anormal, mais…
- Non. On m’a drogué.
- Qu’est-ce qui vous fait dire ça ? se moqua le centaure, pas convaincu. En fait, il se portait volontiers au jugement d’Artemis, mais jamais il ne le dirait. Il était trop fier.
- Premièrement, quand on se fait mesmériser, les pupilles se contractent.
- Bravo. Vous voulez un bonbon pour vous féliciter de votre raisonnement si perspicace ?
- De deux, je crains avoir été victime de fortes hallucinations.
- Arty, je croyais que tu ne te souvenais de rien ? intervint Angeline.
Heureusement, ils parlaient en Anglais, ce qui lui permettait de suivre la conversation sans demander de traduction.
- La vérité est que votre Arty peut s’embrouiller de temps à autre, après tout il est…
- Fou, on le sait, termina durement Holly. Laissez-le s’expliquer tranquillement.
Ensuite, elle bailla, et continua :
- J’ai sommeil, et je n’ai pas que ça à faire.
Elle n’en croyait pas un mot, ses dires sonnaient faux. En fait, elle s’inquiétait, elle aussi.
Artemis soupira de lassitude et leur raconta sommairement son rêve. Il ne mentionna pas son envie d’en finir avec la vie, furieux contre lui-même de l’avoir, même en songe, imaginé.
Il se retint de leur demander de se positionner par ordre croissant, et de ne pas dire quatre mots. Sa maladie ne cessait d’empirer, et cela en devenait vraiment lassant.
- Opale ? demanda enfin Holly.
- Pas assez subtil de sa part, expliqua lentement Artemis, tout en réfléchissant. Elle veut nous voir mourir à petit feu, et elle n’aurait pas le cran de se jeter dans la gueule du loup, donc aurait potentiellement envoyé un autre de ses sbires, ce qui manque de sens, psychopathe qu’elle est. Non. Pas elle.
- Artemis a raison, concéda Foaly à contrecœur. Ce n’est pas son style. Pour ce qui est de votre prétendue drogue, nous allons analyser votre sang sans délai.
- Très drôle, dit le capitaine.
Il y eut un instant de silence, puis :
- Et c’est reparti pour un tour !
- Je ne comprends pas, Holly.
Artemis cligna des yeux, intéressé. Il avait presque peur de ce qu’elle allait leur pondre.
- Je ne sais pas, moi. Sauvez le monde, peut-être les Fées, trouver le grand méchant -ou la grande méchante- qui veut tous nous tuer, ensuite le -la- bousiller et puis se reposer, pour encore mourir d’ennui, et enfin recommencer peu de temps après. La routine, non ?
Elle n’eut pour réponse que des sourcils froncés et des pâles sourires.
- N’ai-je pas raison ?
- J’ai bien peur que oui, capitaine Short.
La folie. Elle me guette, me traque, m’emprisonne.
Elle fait trembler mes mains, mais je pense qu’elle fait trembler bien plus…
La mort est au bout du chemin, la femme va venir me chercher, bientôt. Je l’attends de pied ferme. Je ne mourrais pas par sa faute !
Mes paroles sonnent faux.
J’ai peur.
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Alors ? Impressions ?